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Une nouvelle reliure d’agonothète dans les collections patrimoniales de la BDL (4)

 

La reliure d’agonothète, récemment acquise par la BDL et dont il a été question dans un billet précédent1 mérite tout autant que l’on s’intéresse à son contenu. Elle protège en effet un ouvrage de Papire Masson intitulé Annalium libri quatuor : quibus res gestæ Francorum explicantur. Ad Henricum Tertium regem Franciæ & Poloniæ.

Un ouvrage écrit au XVIe siècle par un ancien père jésuite

Jean2 Masson3 est né dans une famille de marchands du Forez. Après le décès de son père, il fut confié par sa mère, dès ses 9 ans, à l’un de ses oncles, Philibert Girinet4, chevalier de l’Église de Lyon et trésorier de l’église Saint-Étienne de la même ville. Ce dernier lui permit de faire des études, d’abord dans le collège de Villefranche-en-Beaujolais puis dans celui de Billom qui était tenu par la Compagnie de Jésus ce qui incita sans doute Masson à rejoindre plus tard leur ordre. Il suivit son noviciat au Collège Romain avant d’être ordonné prêtre. Il fut ensuite nommé au collège de Naples puis devint régent au collège de Tournon puis à celui de Billom et en 1568 à Paris au prestigieux collège de Clermont.

L’année suivante, Masson quitta la Compagnie de Jésus et intégra le collège de Plessis qui dépendait de l’Université de Paris, ennemie jurée des Jésuites. En 1570, Masson fit son entrée dans un autre collège de l’Université, celui du Cardinal-Lemoine mais au cours de la même année, il renonça à l’enseignement et reprit ses études de droit à l’université d’Angers auprès du jurisconsulte François Baudouin qu’il admirait5. Baudoin avait persuadé Masson, qui voulait devenir historien, qu’il lui était nécessaire de connaître le droit et les institutions afin d’y parvenir. En 1573, après l’obtention de son doctorat en droit, il fut choisi comme secrétaire et bibliothécaire par Philippe Hurault de Cheverny6, futur chancelier de France. Trois ans plus tard, Masson fut reçu au Parlement en tant qu’avocat, il obtint peu après l’office de référendaire à la chancellerie puis celui de substitut du procureur général au Parlement de Paris.

Un ouvrage imprimé pendant les guerres de Religion par un grand imprimeur-libraire parisien appartenant à la ligue catholique

Notre exemplaire est une édition princeps. Elle a été publiée par Nicolas Chesneau7. Ce dernier débuta sa carrière d’imprimeur-libraire en 1556. Comme le montre l’extrait du privilège ci-dessous, il bénéficiait d’un statut élevé dans sa profession puisqu’il était libraire juré de l’Université de Paris8. Dès 1575, il fut nommé syndic de la communauté des libraires-imprimeurs et en 1582, il rejoignit la compagnie de la Grand-Navire9 qui venait d’être créée.

 

La marque d’imprimeur de Nicolas Chesneau ainsi que sa devise « Concordia vis nescia vinci » sont volontairement apparentées à celles de Johann Froben, célèbre imprimeur humaniste suisse.

 

La marque de Johann Froben10, proche d’Érasme de Rotterdam, est composée d’un caducée sur lequel repose une colombe, symbole de concorde. Cela renvoie à un passage biblique11 : « Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes. »12.

Chesneau a opté pour un chêne vert – en lien avec son nom de famille – autour duquel s’enroule un seul serpent dont la queue enserre cinq flèches. Le serpent représenterait le venin de l’hérésie protestante et les cinq flèches indestructibles, la force qui lui est opposée. Les ouvrages édités par Chesneau, au service de la Sainte-Ligue, portent ainsi le symbole du combat engagé par celui-ci contre la Réforme protestante. La marque de Chesneau a évolué au fil du temps13. Celle de l’ouvrage présenté ici aurait été utilisée pour la première fois en 1571 dans Les œuvres et meslanges poetiques d’Estienne Jodelle14.

Selon Andrew Pettigrew15, dans la seconde moitié du XVIe siècle, la trop forte production de pamphlets hostiles à la Réforme ayant saturé le marché du livre entraîna une crise. Aussi, dès 1567, Chesneau fut-il contraint de diversifier sa production et imprima alors de coûteux in-quarto et in-folio comme celui qui est montré ici.

Annalium libri quatuor : quibus res gestæ Francorum explicantur : un drôle de titre

 

Cet ouvrage est l’œuvre maîtresse de Jean Papire Masson puisqu’elle lui a permis de se distinguer en tant qu’historiographe. Elle fut éditée en 1577.

Le choix de Masson de titrer son ouvrage « annales » peut sembler surprenant au premier abord. Pour les historiens du XVIe siècle, deux formes d’écrits historiques étaient en opposition : les histoires et les annales ou chroniques. Seules les histoires appartenaient au genre noble.

Les annales, forme en usage depuis l’Antiquité, étaient censées compiler les événements historiques ayant marqué une année en respectant leur ordre chronologique. Les chroniques assimilées à la chanson de geste étaient décriées. C’est pourquoi les annales, devenues au fil du temps synonymes de chroniques, jouissaient d’une mauvaise réputation. Or, au XVIe siècle, la vérité historique et la recherche des origines des événements constituaient pour les historiens un but à atteindre. Afin d’y parvenir, ils utilisaient une nouvelle méthodologie de travail consistant à rassembler des sources historiques diverses afin de les confronter, de les critiquer et de les comprendre.

Bernard Guenée résume ainsi l’évolution des genres historiques « Dès lors, les annales se distinguent aisément des histoires en ceci que leur récit est fait “sans grand ordre”, qu’il est dépourvu d’éloquence, et surtout qu’il n’instruit pas des causes ».16.

Or Masson emploie une méthode de travail qui est basée sur la confrontation et la critique de sources diverses. Il a consulté de très nombreux manuscrits, écumant la Bibliothèque royale mais aussi celles de son protecteur Philippe Hurault de Cheverny, du collège de Navarre, de Sorbonne comme celles de couvents et d’abbayes. Dans la dédicace qu’il adresse à Henri III, il souligne : « il m’importe bien plus de relater ce que les Francs ont fait de mémorable que d’étaler des opinions incertaines sur leur origine et leur premier séjour… » rompant ainsi avec les anachronismes et les légendes en cours aux siècles précédents.

 

Aussi, malgré leur titre, les Annales de Masson n’appartiennent-elles pas au genre historique des annales mais bel et bien à celui des histoires. Sans doute Masson, cherchait-il, en bon humaniste, à redonner ses lettres de noblesse à un genre historique issu de l’antiquité et dont la quintessence furent les Annales de Tacite ! En effet, les Annales de Masson sont composées de quatre livres ou parties reliées ensemble, consacrées aux grandes dynasties royales de Clodion à Henri II.

 

Elles furent rééditées plusieurs fois et eurent un grand succès en France comme dans toute l’Europe en raison de l’abondance des sources utilisées et citées dont bon nombre étaient inédites. Charles Perrault n’a pas hésité à inclure Papire Masson, mort en 1611, dans sa présentation des hommes illustres qui ont paru en France pendant le Grand Siècle. La belle reliure d’agonothète dont l’exemplaire de la BDL est revêtu ainsi que la richesse de ses ornements typographiques ne font que renforcer la valeur de cet ouvrage !

Lettre ornée p. 1
Cul-de-lampe p. 208
Lettre ornée p. 209
Lettre ornée p. 413

Billet rédigé par Nelly Kabac
(Bibliothèque Diderot de Lyon, département Patrimoine et conservation)

Sources

MASSON, Papire. Annalium libri quatuor : quibus res gestæ Francorum explicantur. Ad Henricum Tertium regem Franciæ & Poloniæ. Paris : Nicolas Chesneau, 1577.
> Cote Bibliothèque Diderot de Lyon : 2RC 8037

Bibliographie

LONGEON, C. Les écrivains foréziens du XVIe siècle. Saint-Etienne : Centre d’études foréziennes, 1970, p. 427-437.

PERRAULT, Charles. Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle. Paris : Antoine Dezallier, 1697. Tome 1, Papire Masson p. 47-48.

RACAUT, Luc. Nicolas Chesneau, Catholic Printer in Paris during the French Wars of Religion. The Historical Journal. Mars 2009, vol. 52, no 1, p. 23-41.

RONZY, Pierre. Un humaniste italianisant, Papire Masson (1544-1611). Paris : Librairie ancienne Édouard Champion, 1924.

  1. <https://bibulyon.hypotheses.org/24694> []
  2. ou Papire surnom qu’il prit en hommage à un ami de Cicéron, Lucius Papirius Cursor environ 364-272 avant J.-C. []
  3. 1544-1611 []
  4. 1515 ? -1570 ? []
  5. 1520-1573 []
  6. 1528-1599 []
  7. 1533-1584 []
  8. « Depuis 1488, le nombre de ces libraires était fixé à vingt-quatre : après avoir « juré » serment au recteur, ils devenaient suppôts de l’Université et profitaient de substantielles exonérations d’impôts, forme déguisée de rétribution ». <https://essentiels.bnf.fr/fr/image/4dfd18f1-dd99-46b9-8b26-85aa61f1c95b-rare-document-archive-sur-tory-sa-nomination-comme-libraire-jure-universite-paris-1533-1> []
  9. association d’imprimeurs-libraires parisiens chargée de publier les œuvres des Pères de l’Église []
  10. vers 1460 – 1527 []
  11. Matthieu 10 :16 []
  12. <https://caducees-art.fr/un-imprimeur-a-la-une/> []
  13. <https://batyr.univ-tours.fr/fr/devise/37/> []
  14. Renouard, Philippe, Les marques typographiques parisiennes des XVe et XVIe siècles, Paris, 1926-1928., n° 0171 []
  15. Reformation and the culture of persuasion, Cambridge University Press, 2005, p. 149 []
  16. Guenée Bernard. Histoires, annales, chroniques. Essai sur les genres historiques au Moyen Âge. Annales. Economies, sociétés, civilisations, 1973, n° 4, p. 997-1016 []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Interfaces/fonds anciens BU Lyon (24 septembre 2025). Une nouvelle reliure d’agonothète dans les collections patrimoniales de la BDL (4). Interfaces. Livres anciens de l'Université de Lyon. Consulté le 7 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14qij


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