Une nouvelle reliure d’agonothète dans les collections patrimoniales de la BDL (3)
Une acquisition vient compléter l’ensemble des reliures d’agonothète que la BDL possède déjà et en particulier celles du collège des Jésuites de Bourges1. Il s’agit d’un in-quarto intitulé Papirii Massoni Annalium libri quatuor : quibus res gestæ Francorum explicantur. Ad Henricum Tertium regem Franciæ & Poloniæ.
Une lettre manuscrite en guise d’ex-præmio : une pratique établie au XVIIe siècle
Comme cela a été évoqué dans un billet précédent2, remettre des ouvrages en récompense d’un prix d’excellence était une tradition suivie dans les collèges européens depuis le XVIe siècle, en particulier dans ceux qui étaient dirigés par les Jésuites, avant de se généraliser au cours des siècles suivants dans les établissements scolaires religieux comme laïcs.
L’ex-præmio, présenté ci-dessous, qui atteste de la remise du prix, a pris la forme d’une lettre manuscrite rédigée en latin sur une des feuilles de garde.
Voici sa transcription :
Ego infra scriptus collegii
Bituricensis Beata Maria societatis
Jesu studiorum prefectus testor ingenium
adolescentem Franciscum Souciet Bituricum
hunc librum qui inscribitur Papirii Massoni
annalium tertium solutæ orationis latinæ
præmium in quinta meruisse et in publico ejusdem
collegii theatro ex munificentiâ et liberalitate
illustrissimi clarissimique D. D. Dey equitis
domini de Seraucourt Regi ac servitioribus
consiliis libellorum suplicum magistri et
justitis apud Biturigas moderatoris esse
consequtum in cujus rei fidem hoc ei testimonium
manu mea subscriptum et collegii nostri sigillo
munitum dedi Biturigilas dies vigesimo
secundo augusti anno domini millessimo sexentissimo
octogesimo quarto.
J. de Gonnets
Il est possible de le traduire ainsi :
« Je, soussigné, préfet des études, au collège Sainte-Marie de la Compagnie de Jésus de Bourges, atteste que François Souciet, jeune Berruyer de bonne naissance, en classe de cinquième, a été récompensé du troisième prix de prose latine par Les Annales de Papire Masson, dans le théâtre de ce même collège, grâce à la munificence et la générosité du très illustre et très renommé seigneur et écuyer, D. D. Dey de Séraucourt, conseiller privé du Roi, maître des requêtes et intendant de justice à Bourges. Afin d’en attester, je lui ai donné ce certificat signé de ma main et l’ai renforcé du sceau de notre collège.
Bourges, le 22 août de l’an du seigneur 1684.
J. de Gonnets ».
Comparatif de deux ex-praemio rédigés dans un même collège à quatre ans d’intervalle
Ce document permet de recouper les informations provenant de deux cérémonies de remise des prix3 au sein d’un collège d’humanités4 dirigé par la Compagnie de Jésus à Bourges au XVIIe siècle.
Ainsi, dans les deux cas, c’est le préfet des études, chargé de la direction de celles-ci et de la discipline générale au sein d’un collège jésuite, qui a rédigé l’ex-præmio et l’a certifié en y apposant sa signature ainsi que le timbre à froid de la Compagnie de Jésus.
En 1684, c’est M. de Gonnets qui endosse cette fonction. Il n’a laissé aucune trace biographique, de même que celui qui a rédigé et signé celui émis en 1688.
Des formules stéréotypées apparaissent dans les deux cas ce qui témoigne d’une procédure formalisée.
L’énoncé introductif est identique :
« Ego infra scriptus collegii Bituricensis Beata Maria societatis Jesu studiorum prefectus testor ingenium adolescentem […] »
Il en est de même de la formule de gratitude vis-à-vis de l’agonothète « ex munificentia » ainsi que de celles qui sont en lien avec la certification de l’ex-præmio : « in cujus rei fidem […] collegii nostri sigillum […) ».
La classe concernée par la remise du prix est la même. Il s’agit de la cinquième. Elle débutait certainement la scolarité au collège de Bourges, étant donné que seuls les plus grands collèges possédaient une classe de sixième qui dédoublait en fait les effectifs de la cinquième.5
Le prix décerné est également semblable. C’est celui de prose latine « solutæ orationis latinæ præmium ».
Toutefois, il existe de petites différences. Si le titre de l’ouvrage ainsi que son auteur sont explicitement cités dans l’ex-præmio de 1684, ils ne le sont pas en 1688. L’ouvrage de Papire Masson était-il considéré comme plus remarquable que celui de Giovanni Pietro Maffei6 au XVIIe siècle ? Est-ce le fruit d’une grande disparité culturelle entre les préfets des études provinciaux ?
Un récipiendaire issu d’une famille de la notabilité berruyère au service de la Compagnie de Jésus
François Souciet7 porte le même prénom que son père, avocat au Parlement de Bourges et échevin de 1697 à 1698. Il a pu être identifié grâce à la biographie de deux de ses frères.
Étienne Souciet8, son aîné, est entré en 1690 dans la Compagnie de Jésus. Il y fut ordonné prêtre en 1701. Il se distingua comme fin lettré9. Il fut également enseignant ainsi que bibliothécaire principal10 au collège jésuite parisien de Clermont.
Jean Souciet11, l’un de ses cadets, est entré chez les Jésuites en 1699. Il a marché dans les traces d’Étienne mais sans l’égaler : préfet de chambre12. Il contribua également aux Mémoires de Trévoux et occupa à partir de 1741 un poste de bibliothécaire au collège de Clermont.
Quatre autres membres de la fratrie Souciet entrèrent dans les ordres : Jean-Baptiste13 et Étienne-Auguste14 à la Compagnie de Jésus, Gabriel15 ainsi qu’Aignan-Benoît16 dans le clergé séculier.
François Souciet, le récipiendaire du prix, n’a laissé aucune trace biographique autre que celle d’appartenir à une fratrie ayant eu des liens très étroits avec le clergé et en particulier avec la Compagnie de Jésus.
Dominique Dinet nous éclaire sur ce dernier point en démontrant qu’il existait une relation indéniable « entre familles nombreuses et engagement religieux, […] à l’époque moderne, particulièrement en France. […]. Il concerne d’abord des foyers approchant d’une honnête aisance, appartenant souvent à la robe, vivant dans la dévotion et un climat de ferveur plus intenses que la majorité de leurs contemporains […] ».17
Un illustrissime agonothète ?
Pour rappel, une reliure est dite d’agonothète lorsqu’elle a été donnée par un notable afin qu’elle soit remise en prix à un élève. L’agonothète cité dans l’ex-præmio se nomme Louis-François Dey de Séraucourt18. Il appartenait à une famille de la noblesse champenoise.
En effet, afin d’éviter tout risque de collusion, les intendants étaient choisis en dehors de leur région de naissance. Louis-François Dey de Séraucourt était le cousin de Jean-Baptiste Colbert. En 1680, il acquit un office de maître des requêtes. Dans les deux années qui suivirent, il devint tour à tour conseiller d’état et intendant de Bourges19, fonction qu’il occupa jusqu’en 1699. Il a laissé son nom à une grande esplanade qu’il fit construire à Bourges en 1693.
Il possédait une bibliothèque riche de 658 volumes, « assez caractéristique du milieu de la robe à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles »20 comprenant surtout des belles-lettres, des dictionnaires, des ouvrages religieux, de droit mais aussi des grands classiques de l’histoire comme celui de Papire Masson.
Une reliure très soignée : à la dentelle, à semé et aux armes
La reliure du XVIIe siècle, postérieure à l’édition, est en veau fauve. Le pourtour des plats permet d’attribuer à la reliure le qualificatif de dentelle : des petits fers juxtaposés imitent en effet une bande de dentelle qui entoure un double filet doré. Des écoinçons viennent enrichir le décor.
Lorsque l’on examine les plats, la reliure est à semé (ou semis) de fleurs de lis ce qui ne signifiait pas forcément que son possesseur appartenait à la famille royale21.
Le semé se présente sous la forme d’un croisillon de filets formant des losanges au centre desquels est estampée à chaud une fleur de lis.
La présence d’un blason au centre des plats montre qu’il s’agit également d’une reliure aux armes en l’occurrence celle de l’agonothète.
La couvrure en veau fauve, la dentelle, le double filet, les armes et les tranches dorées permettent de qualifier la reliure de soignée. Le livre donné en prix faisait sans doute partie de la bibliothèque personnelle de l’agonothète. Les marques de restauration (dos, tranchefiles, coins des plats…) synonymes d’usure liée à son utilisation, ajoutées à l’ex-præmio, témoignent de la destinée de l’ouvrage qui bien que recouvert d’une reliure soignée fut certainement destiné à un usage plus courant.
Billet rédigé par Nelly Kabac
(Bibliothèque Diderot de Lyon, département Patrimoine et conservation)
Sources
MASSON, Papire. Annalium libri quatuor : quibus res gestæ Francorum explicantur. Ad Henricum Tertium regem Franciæ & Poloniæ. Paris : Nicolas Chesneau, 1577.
> Cote Bibliothèque Diderot de Lyon : 2RC 8037
Bibliographie
MICHAUD, Claude. L’intendance du Berry. Paris : C. T. H. S., 2001.
VERNEUIL, Yves et SAVOIE, Philippe. Encadrement éducatif et vie scolaire dans les établissements d’enseignement secondaire depuis le XVIIe siècle. Carrefours de l’éducation, 2013, vol. 1, n° 35, p. 9-15.
- Un livre de prix du XVIe siècle issu des fonds anciens de la BDL. Première partie, billet de mars 2025 : <https://bibulyon.hypotheses.org/23551>. Deuxième partie, billet d’avril 2025 : <https://bibulyon.hypotheses.org/23666> [↩]
- Un livre de prix du XVIe siècle issu des fonds anciens de la BDL (1), billet de mars 2025, <https://bibulyon.hypotheses.org/23551> [↩]
- Un livre de prix du XVIe siècle issu des fonds anciens de la BDL (1), billet de mars 2025, <https://bibulyon.hypotheses.org/23551> [↩]
- « Type d’établissement qui s’épanouit du XVIe au XVIIIe siècle et dont l’enseignement est fondé sur l’étude des textes classiques de l’Antiquité, afin de faire acquérir aux élèves la maîtrise de la grammaire et de la rhétorique latines et, plus généralement, une familiarité avec la civilisation antique, qui constituent ensemble la “culture classique”. Quand les ressources pédagogiques le permettent, on y étudie également le grec et, en fin de cursus, la philosophie ». Verneuil et Savoie, 2013 [↩]
- « [Le collège] doit avoir une taille suffisante pour répartir les élèves en classes de niveaux, de la 6e ou la 5e jusqu’à la première. » Verneuil et Savoie, 2013 [↩]
- Un livre de prix du XVIe siècle issu des fonds anciens de la BDL (2), billet d’avril 2025, <https://bibulyon.hypotheses.org/23666> [↩]
- 1674-1739 [↩]
- 1671-1744 [↩]
- notamment en tant que contributeur des Mémoires de Trévoux et des Acta Sanctorum [↩]
- 1725-1740 [↩]
- 1681-1762 [↩]
- ou de pension : dans les collèges jésuites et oratoriens, responsable de l’encadrement des élèves pensionnaires (une minorité) en dehors de la classe. Ses fonctions comprennent la surveillance disciplinaire pendant les récréations, les repas, la nuit, mais aussi la vérification du travail effectué par les élèves en études, comme un répétiteur. Si la taille de l’établissement le permet, les élèves dont il a la charge sont regroupés par niveau. (Verneuil et Savoie, 2013 [↩]
- 1684- ? [↩]
- 1685-1744 [↩]
- 1679- ? [↩]
- 1690- ? [↩]
- DINET, Dominique. Familles nombreuses et engagement religieux (XVIIe-XVIIIe siècles) ». In DESOS, Catherine et GAY, Jean-Pascal. Au cœur religieux de l’époque moderne. Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2011. [↩]
- 1645-1744 [↩]
- Louis-François Dey de Séraucourt, Mémoire sur la généralité de Bourges : dressé par ordre du duc de Bourgogne, 1697. En ligne. Disponible sur : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57540751.texteImage> [↩]
- Michaud, p. 17 [↩]
- « Dès la fin du 12ème siècle, la fleur de lis est utilisée sur de nombreux blasons nobles. C’est seulement en 1697 qu’un arrêt réserva l’usage de la fleur de lis sur fond azur au roi ». <https://www.senat.fr/fileadmin/import/files/fileadmin/Fichiers/Images/archives/brochures-bibliotheque/brochure-04.pdf> [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Interfaces/fonds anciens BU Lyon (24 août 2025). Une nouvelle reliure d’agonothète dans les collections patrimoniales de la BDL (3). Interfaces. Livres anciens de l'Université de Lyon. Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14hvs








