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Enseigner la musique à l’école sous la Troisième République

La Bibliothèque Diderot de Lyon conserve dans son abondante collection de manuels scolaires un nombre important de manuels d’éducation musicale très variés.

 

Beaucoup parmi eux datent de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. La musique est déjà enseignée depuis longtemps, puisque Charlemagne même en prône l’apprentissage dans ses écoles, mais la Troisième République, qui fonde d’ailleurs le mythe de Charlemagne inventeur de l’école, remet cet enseignement à l’honneur dans son programme scolaire.

La musique ralliement à l’État

En 1882, la musique rejoint la lecture, la géographie, l’histoire et les mathématiques parmi les 12 enseignements obligatoires de l’éducation intellectuelle. On y enseigne avant tout le chant, plus facilement accessible à tous et qui permet de servir l’amour de la patrie comme le veut la politique scolaire de l’État.

Cette même année Jules Ferry, alors ministre de l’instruction publique, promulgue les lois sur l’école laïque gratuite et obligatoire pour tous les enfants entre 6 et 13 ans. Ces lois s’inscrivent dans la continuité de la politique de la Troisième République : se libérer de l’influence religieuse. Cependant la religion, qui était jusque-là l’identité commune des Français, laisse un vide qu’il faut combler. L’État fait alors le choix de l’école comme socle commun et « creuset de l’attachement futur à la République »1. Pour remplacer la religion, on insuffle à l’école l’amour de la patrie et de la République au moyen de texte de dictée, de récitations… Certains manuels scolaires sont totalement dédiés à chanter la patrie. C’est le cas de Vive la France ! : morceaux choisis : lectures, récitations et chants patriotiques ouvrage du programme officiel de juillet 1882 qui rassemble des textes célébrant les héros français, la grandeur de la République, la difficulté de l’exil, la beauté du pays, tout en rappelant l’antagonisme de la France envers l’Allemagne suite à la guerre de 1870 et la tristesse d’avoir perdu l’Alsace-Lorraine.

 

Cet ouvrage doit servir à trois matières : le français à travers des récitations et des sujets de rédactions, l’histoire par les textes sur les notions de patrie et l’Alsace-Lorraine et le chant à travers la Marseillaise et le Chant du départ qui deviennent d’ailleurs une épreuve obligatoire pour le certificat d’études, mais aussi à travers les musiques du quotidien militaire.

 

Le chant, et particulièrement le chant en chœur, apparaît, en effet, comme une excellente manière de réunir les enfants autour d’un socle culturel commun et de créer une unité. Les paroles des chants qui sont appris doivent développer leur sens du devoir, leur amour de la patrie, de la famille et leur bonne conduite. « En faisant chanter aux enfants des hymnes en l’honneur des grands serviteurs de l’humanité ou de la patrie, l’école donnera à la musique l’occasion de passionner les élèves pour le passé de la nation, faisant naître une vibration et un frémissement sacrés dans leur jeune poitrine »2. On trouve l’exemple parfait dans le recueil Chants pour la jeunesse à travers ce chant écrit par Maurice Bouchor (<https://bibulyon.hypotheses.org/15133>), poète qui a beaucoup œuvré pour l’éducation populaire, qui, tout en chantant Victor Hugo, sur un air de Beethoven, rappelle les bienfaits de la République.

 

Les chants sont souvent en rapport avec l’armée et la guerre, évocateurs de la défaite de 70 et du désir de revanche. Chants patriotiques et historiques à l’usage des écoles, à destination des cours élémentaires de M. Montagne en est un parfait exemple. Avec sa couverture représentant la Marianne pointant d’une épée l’Alsace et la Lorraine perdues, le recueil de chant propose avant tout des morceaux qui chantent la République, mais une République guerrière dont les hauts faits sont, avant tout, faits d’armes.

 

Ce même ouvrage propose aussi des chants sur les écoliers. Une fois encore, la République et ses bienfaits sont présents et de manière bien plus explicite comme pour le chant « Au travail » qui déclare « Nous dirons : c’est la République | Qui de la nuit nous a tirés ». Ces chants qui, une fois appris, doivent être lancés dans la cour d’école ou au moment d’entrer en classe « pour imprimer bonne humeur et discipline »3, restent dans la tête et marquent les esprits avec leur air entraînant. Cette méthode semble efficace puisque les souvenirs de musique que gardent les élèves de l’école du XIXe siècle sont justement ces chants patriotiques4.

 

L’utilisation de la musique pour développer l’amour de la patrie permet également de développer la pratique musicale dans les écoles de garçons. En effet, lors de sa mise en place, l’enseignement musical est en butte avec une conception de la virilité hostile à ce qui touche le registre de la sensibilité ou de l’expression collective. Cependant au cours du siècle un rapprochement progressif des modèles éducatifs se fait et privilégie la dimension universaliste de la culture aux dépens des particularismes sociaux et sexuels5. On constate d’ailleurs cette différence d’enseignement dans les chants proposés destinés pour certains aux jeunes filles, pour d’autres aux jeunes garçons. Peu cependant proposent une partition mixte.

Chants patriotiques et historiques à l’usage des écoles

Faire évoluer le programme pour rendre la musique accessible à tous

            Pourtant, bien que seuls les chants patriotiques marquent les esprits, le programme de musique change rapidement et devient plus complet et plus complexe. Sous la Troisième République, neuf programmes voient le jour. La volonté de rendre la musique accessible à tous, qu’elle ne soit plus réservée à une élite, est de plus en plus prégnante. Si, au cours élémentaire, les programmes se limitent à la reconnaissance des notes, l’apprentissage se concrétise dans les cours supérieurs avec la connaissance de la clé de sol, de la clé de fa, de la gamme diatonique majeure, des intervalles naturels, des signes altératifs et des principaux tons majeurs et mineurs6, c’est-à-dire une connaissance du solfège assez poussée à laquelle s’ajoute un cours sur l’histoire de la musique. Pour parvenir à ce résultat, l’enseignant est censé réserver une à deux heures par semaine à la musique, quantité non négligeable.

Études préparatoires de musique à l’usage des écoles primaires, partie de l’élève

Cependant, le niveau musical n’égale pas celui des cours donnés dans les écoles avant 1870. On voit bien la différence entre le manuel Études préparatoires de musique à l’usage des écoles primaires de 1883 et la Petite grammaire musicale à l’usage des écoles primaires, des cours orphéoniques de 1864. Tous les deux sont à l’usage des écoles primaires mais le second est plus complexe. Notamment la partie du maître qui est plus explicative, fait presque le double de sa partie élève. Pour une même leçon, apprendre ce qu’est une portée, par exemple, la leçon de la Petite grammaire propose une partie théorique beaucoup plus importante que le précédent. De plus la partie maître semble avoir une fonction différente. Celle de Études préparatoires de musique à l’usage des écoles primaires propose à l’enseignant un plan de cours, dessiner une portée au tableau, faire répéter telle ou telle partie tandis que la Petite grammaire, quant à elle, enseigne au professeur lui-même ce qu’est une portée, avant qu’il ne l’apprenne à ses élèves

Études préparatoires de musique à l’usage des écoles primaires, 1883
Petite grammaire musicale à l’usage des écoles primaires, des cours orphéoniques, 1864

Quand la théorie se heurte à la pratique

En pratique, la musique n’est pas enseignée avec autant de rigueur que le voudraient le programme et l’État. Les instituteurs formés dans les écoles normales réagissent souvent favorablement à l’enseignement de la musique. Mais ce n’est pas le cas de tous. L’implication variable du gouvernement dans l’enseignement de cette matière heurte le corps enseignant et quand l’État pousse trop à l’apprentissage musical, les instituteurs freinent pour s’opposer à lui. Mais quand la République paraît se désintéresser de la question, la musique est également mise de côté afin, cette fois, de privilégier les matières plus classiques. En effet les enseignants ne considèrent pas la musique comme une matière d’importance. Sa finalité n’a pas été établie clairement et l’alphabétisation des Français, parfois ardue, reste la mission principale que se fixent les professeurs aux dépens de matières qui leur apparaissent plus secondaires.

Les enseignants y prêtent d’autant moins attention que le programme est très changeant. Neuf réformes marquent la Troisième République et d’autres suivent ensuite. En fonction de la direction prise par la réforme, la formation est plus ou moins poussée et demande au professeur une connaissance approfondie de la musique. Or, si ce n’est à l’école primaire supérieure, où les futurs enseignants sont formés par des professeurs reçus sur concours, les instituteurs ne connaissent de la musique que ce qu’ils ont appris par eux-mêmes. Pour pallier ce manque Bourgault-Ducoudray, musicien républicain à l’origine de l’élaboration des instructions officielles sur la musique comme enseignement, préconise des formations sans succès.

Rapport sur l’enseignement du chant dans les écoles primaires par Bourgault-Ducoudray

Mais si de nombreux obstacles semblent se jeter sur son chemin, l’enseignement musical perdure et s’institutionnalise de plus en plus. Les méthodes d’apprentissage évoluent, et tentent de se renouveler tandis que le programme officiel se stabilise.

Billet rédigé par Scholastique de Malglaive
(Master Histoire, civilisations et patrimoine, parcours culture de l’écrit et de l’image, ENSSIB)

Sources

Miquel, Pierre. Vive la France !. Librairie Séguier : diffusion Ed. Garamont, 1987. (Cote BDL MS 82096)

Bouchor, Maurice. Chants pour la jeunesse. Librairie CH. Delagrave, 1904 (Cote BDL MS 82722)

Montagne, M.  7 Chants patriotiques et historiques à l’usage des écoles. Boyer et cie, 18.. (Cote BDL MS 88376)

Études préparatoires de musique, partie du maître. Librairie classique Eugène Belin : Vve Belin et Fils, 1881. (Cote BDL MS 97 196)

Études préparatoires de musique, partie de l’élève. Librairie classique Eugène Belin : Vve Belin et Fils, 1883. (Cote BDL MS 97 197)

Petite grammaire musicale à l’usage des écoles primaires, des cours orphéoniques et de tous les établissements d’instruction. Partie du maître. F. Tandou et Cie (Cote BDL MS 90 064)

Petite grammaire musicale à l’usage des écoles primaires, des cours orphéoniques et de tous les établissements d’instruction. Partie de l’élève. F. Tandou et Cie (Cote BDL MS 90 065)

Saint-Saëns, Camille ; Bourgault-Ducoudray, Louis-Albert ; Chouquet, Gustave ; Mercadier, Ernest ; Danhauser, Adolphe-Léopold ; Vervoitte, Charles ; Dupaigne, Albert. Rapport sur l’enseignement du chant dans les écoles primaires. Imprimerie nationale, 1881 (Cote BDL 1R 201823)

Enseignement du chant, exercices individuels. Choudens, 19… (Cote BDL MS 82909)

Bibliographie

Alten, Michèle. Musique solaire et société dans la France de la Troisième République, revue internationale en science de l’éducation et didactique [en ligne]. 25|2005. (consulté le 09/04/2025). <https://journals.openedition.org/trema/310?lang=en>.

Alten, Michèle. L’introuvable identité disciplinaire de la musique scolaire en France sous la IIIe République. Paedagogica Historica, International Journal of the History of Education [en ligne]. 9/08/2006. (consulté le 09/04/2025). <https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0030923032000214173>.

Alten, Michèle. Un siècle d’enseignement musical à l’école primaire. Vingtième Siècle. Revue d’histoire [en ligne]. 1997. (consulté le 09/04/2025). <https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1997_num_55_1_3659>.

  1. Un siècle d’enseignement musical à l’école primaire – Persée []
  2. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0030923032000214173#d1e210 []
  3. https://journals.openedition.org/trema/310?lang=en []
  4. Un siècle d’enseignement musical à l’école primaire – Persée []
  5. Id. []
  6. https://journals.openedition.org/trema/310?lang=en []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Interfaces/fonds anciens BU Lyon (24 mai 2025). Enseigner la musique à l’école sous la Troisième République. Interfaces. Livres anciens de l'Université de Lyon. Consulté le 19 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/140bq


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