Les Institutions de physique d’Émilie du Châtelet
Le nom d’Emilie du Châtelet est cité chaque fois que l’on évoque des femmes scientifiques mais son œuvre est méconnue. La BU Lyon 1 conserve dans ses collections les Institutions de physique. Il s’agit de la première édition publiée à Paris en 1740. Le nom de l’auteur ne figure pas sur la page de titre mais il a été ajouté, sous le titre, au crayon, « par Mme du Châtelet ». Le volume provient du don d’Auguste Pierre Isidore de Polinière (1790-1856) comme l’indiquent, l’étiquette typographiée apposée au contreplat supérieur et le cachet rectangulaire portant l’inscription : « DON DE Mr DE POLINIÈRE 1856 » sur la page de titre. Il a été publié à Paris chez Prault fils en 1740. De format In-8, il comporte 450 p., 11 planches gravées sur cuivre dépliantes, une grande vignette au titre et 22 vignettes en têtes des chapitres et de l’introduction, le tout gravé sur cuivre. La reliure est en veau fauve marbré avec un dos à 5 nerfs et pièce de titre. Les caissons sont ornés et les tranches rouges. Deux autres éditions paraîtront en 1742 et 1744.
Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil
Elle naît à Paris en 1706. Ses parents, nobles, sont très ouverts, ils reçoivent dans leur salon les intellectuels scientifiques et littéraires de l’époque. Emilie reçoit la même éducation que ses frères, chose rare au XVIIIème siècle. Elle maitrise le grec et le latin mais aussi les sciences que l’on qualifiait de « philosophie naturelle ». Cela lui permet de suivre avec profit les cours des mathématiciens de son temps : Clairaut, Maupertuis et l’allemand Koenig. Elle épouse en 1725, à 19 ans, le marquis du Châtelet gouverneur de Semur en Auxois. Son époux souvent absent lui laisse une grande liberté. En1732, alors qu’il est impliqué dans la guerre de Pologne, elle quitte Semur et retourne à Paris. Elle participe à la vie mondaine de la capitale où elle est connue pour son amour des bijoux et des frivolités. Sa rencontre avec Voltaire est déterminante pour son travail scientifique. Elle l’accueille dans son château de Cirey, en Lorraine. L’écrivain qui avait découvert le travail de Newton lors de son exil à Londres (il avait assisté à ses obsèques) l’initie à la physique newtonienne et l’incite à traduire Principia Mathematica qu’il publiera après la mort de la marquise en 1749.
De l’éducation
Émilie du Châtelet a eu quatre enfants, c’est pour son fils aîné Louis Marie né en 1727 qu’elle rédige les Institutions de physique. Dans la préface elle expose son point de vue sur l’éducation d’un enfant en général : « J’ai toujours pensé que le devoir le plus sacré des Hommes était de donner à leurs Enfans une éducation qui les empêchât dans un âge plus avancé de regretter leur jeunesse, qui est le seul temps où l’on puisse véritablement s’instruire ; vous êtes, mon cher fils, dans cet âge heureux où l’esprit commence à penser, & dans lequel le cœur n’a pas encore des passions assez vives pour le troubler. C’est peut-être à présent le seul tems de votre vie que vous pourrez donner à l’étude de la nature, bientôt les passions & les plaisirs de votre âge emporteront tous vos momens ; […] Je veux donc vous faire mettre à profit l’aurore de votre raison, & tâcher de vous garantir de l’ignorance qui n’est encore que trop commune parmi les gens de votre rang, & qui est toujours un défaut de plus, & un mérite de moins. […] Il faut accoutumer de bonne heure votre esprit à penser, & à pouvoir se suffire à lui-même : vous sentirez dans tous les tems de votre vie quelles ressources & quelles consolations on trouve dans l’Etude, et vous verrez qu’elle peut même fournir des agréments & des plaisirs. »1. Elle poursuit avec des précisions sur l’enseignement de la physique adaptée à un enfant ne possédant pas encore tous les outils mathématiques : « L’étude de la Physique paraît faite pour l’Homme : elle roule sur les choses qui nous environnent sans cesse & desquelles nos plaisirs et nos besoins dépendent. Je tâcherai, dans cet Ouvrage, de mettre cette Science à votre portée & de la dégager de cet art admirable qu’on nomme Algèbre, lequel séparant les choses des images, se dérobe aux sens, et ne parle qu’à l’entendement. Vous n’êtes pas encore à portée d’entendre cette Langue, qui paraît plutôt celle des Intelligences que des Hommes. Elle est réservée pour faire l’étude des années de votre vie qui suivront celles où vous êtes ; mais la vérité peut emprunter différentes formes, & je tâcherai de lui donner ici celle qui peut convenir à votre âge, & de ne vous parler que de choses qui peuvent se comprendre avec le seul secours de la Géométrie commune que vous avez étudiée. ».2
Sur la physique
Le livre est un traité scientifique d’actualité il est précédé de cet avertissement du libraire : « Ce premier Tome des institutions de Physique étoit prêt à être imprimé dès le 18.septembre 1738. Comme il paroît par l’Approbation, & l’Impression en fut même commencée dans ce temps-là ; mais l’Auteur ayant voulu y faire quelques changements, me la fit suspendre ; ces changements avoient pour objet la métaphysique de M.de Leibnits, dont on trouvera une Exposition abrégée au commencement de ce volume. ». Le premier chapitre est consacré aux « Principes de nos connaissances ». Et on peut lire page 25 : « M . de Leibnits qui était très attentif aux sources de nos raisonnements, saisit ce principe, le développa, & fut le premier qui l’énonça distinctement ,& l’introduisit dans les sciences. »
Si le chapitre II qui traite « De l’existence de Dieu » ne nous parle plus beaucoup ce n’est pas le cas du chapitre IV intitulé « Des hipotheses ». Madame du Châtelet y renvoie dos à dos les cartésiens qui en abusent et « les disciples de M. Newton tombés dans le défaut contraire ». Elle explique : « Une expérience ne suffit pas pour admettre une hypothèse, mais une seule suffit pour la rejeter si elle est contraire »3. Les chapitres suivants sont consacrés à l’étude de la pesanteur avec une féroce critique d’Aristote : « Aristote le père de la Philosophie & de l’erreur. »4 et plus loin : « Aristote était sans doute un grand homme mais c’était un mauvais physicien ». ((Note p. 288)). Elle lui reproche d’expliquer tous les phénomènes de la pesanteur : « comme tous les autres effets physiques, […] par des mots vides de sens »5. Et elle expose la théorie de Newton qu’elle connaît bien.
En conclusion, ce n’est pas uniquement parce ce qu’Émilie du Châtelet fut la première femme publiée par l’Académie des sciences qu’il faut la lire mais pour la pertinence de ses idées sur l’enseignement de la physique.
Article rédigé par Françoise Khantine-Langlois, chercheuse associée au laboratoire S2HEP
Source :
Du Châtelet, Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil. Institutions de physique. A Paris : chez Prault fils, 1740
Bibliographie :
Keiko Kawashima. Emilie du Châtelet et Marie-Anne Lavoisier : science et genre au XVIIIe siècle. Paris Honoré Champion éditeur, 2013.
Locqueneux Robert. « Les Institutions de physique de Madame Du Châtelet ou d’un traité de paix entre Descartes, Leibniz et Newton». In Revue du Nord, tome 77, n°312, Octobre-décembre 1995. pp. 859-892. Disponible en ligne [consulté le 22 avril 2025]
Puech, Chantal. Emilie du Châtelet et les sciences. Blog Gallica, 6 juillet 2021. Disponible en ligne [consulté le 22 avril 2025]
Rey, Anne.-Lise. « Le Certain et le Probable Dans les Institutions de Physique D’Émilie Du Châtelet ». In Les Études philosophiques. 2023 ; 146(3), 23-38. Disponible en ligne [consulté le 22 avril 2025]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Interfaces/fonds anciens BU Lyon (22 avril 2025). Les Institutions de physique d’Émilie du Châtelet. Interfaces. Livres anciens de l'Université de Lyon. Consulté le 17 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13s59