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Un livre de prix du XVIe siècle issu des fonds anciens de la BDL (1)

Cet ouvrage est l’un des plus anciens livres de prix présents dans les fonds patrimoniaux de la BDL. Il se distingue par sa reliure et ses marques de provenance.

MAFFEI, Giovanni Pietro. Historiarum Indicarum libri XVI. Selectarum item ex India epistolarum eodem interprete libri IIII. Lyon : Filippo Giunta, 1589.
> Cote BDL : 2RC 4371

La cérémonie de remise des prix d’excellence : une tradition vivace dans les établissements scolaires

Cette pratique, inspirée de l’Antiquité comme le rapporte Suétone1, apparaît en Europe au XIVe siècle dans les collèges dirigés par les Frères de la Vie commune. Elle fut ensuite adoptée par la Compagnie de Jésus, fondée en 1539 par Ignace de Loyola (1491-1556). L’influence des Frères de la Vie commune sur ce dernier est perceptible dans ses Exercices spirituels (1648)2. La naissance de l’ordre jésuite s’inscrit dans le cadre de la Réforme catholique d’où son engagement dans l’apostolat et l’enseignement de la jeunesse. Les collèges constituaient, en effet, un enjeu important dans la lutte contre le protestantisme qui gagnait peu à peu les élites.

LOYOLA, Ignatio de. Exercitia spiritualia. Rome, Collège de la Société de Jésus, 1576
Cote BDL : 55552

La cérémonie de remise des prix dans un collège jésuite est détaillée dans la Ratio Studiorum (fixée en 1586 et publiée en 1599). Celle-ci définissait les bases du système éducatif jésuite. Elle préconisait une fête annuelle, en fin d’année scolaire, afin de favoriser l’émulation entre les élèves. La remise des prix était financée par des bienfaiteurs – afin de ne pas peser sur les finances du collège – qui étaient ainsi honorés en retour.

Ratio atque institutio studiorum Societatis Jesu. Tournon : Claude Michel, 1603.
Cote BDL : 1R 36566

Dans les siècles suivants, cette coutume se perpétua en Europe dans les établissements scolaires religieux comme laïcs.

Le livre de prix et sa marque l’ex-praemio

Le prix est matérialisé par la remise d’un livre, symbole du savoir. À l’intérieur de l’ouvrage, afin d’attester qu’il s’agit bien d’une récompense, figure une « mention manuscrite », imprimée ou gravée, parfois accompagnée de marques d’authentification (sceaux) que l’on appelle un ex-praemio3. La matière où l’élève a excellé, la classe concernée, la date de remise du prix, les noms de l’établissement scolaire, du bénéficiaire et de celui qui a remis le prix sont le plus fréquemment précisés sur celui-ci.

Dans cet ouvrage, l’ex-præmio a pris la forme d’un simple feuillet blanc. Il était sans doute collé au début de l’ouvrage et a été inséré dans celui-ci après la page de titre lorsque le volume a été restauré (probablement au XIXe siècle). Il s’agit d’une longue lettre manuscrite écrite en latin.

 

Il est possible de la traduire ainsi :

« Je, soussigné, préfet des études, au collège Sainte-Marie de la Compagnie de Jésus de Bourges, atteste que François Bergier, jeune homme de bonne naissance, en cinquième classe de latin, a été récompensé du 4prix en prose, remis grâce à la munificence du grand prince François de Rohan gouverneur de cette province, dans le théâtre public, le 17 août dernier. Afin de garantir la conformité de mon chirographe, j’ai apposé sur celui-ci le seau de notre collège. 
Bourges, le 21 août de l’an du seigneur 1688 ».

Ce document nous donne de nombreux renseignements sur une cérémonie de remise des prix au sein d’un collège jésuite au XVIIe siècle.
Ainsi, c’était le préfet des études, chargé de la direction de celles-ci et de la discipline générale au sein d’un collège jésuite, qui rédigeait les ex-præmio et certifiait de leur authenticité en y apposant sa signature mais aussi le timbre à froid de la Compagnie de Jésus.

 

Au collège Sainte-Marie de Bourges, Claude Auguste Rouher [?] remplissait ce rôle. Aucun renseignement biographique le concernant n’a pu être trouvé.

 

Cet établissement4 fut créé à la fin du XVe siècle. Il était alors destiné à former des prêtres. Il devint un collège public en 1567, financé par la ville ainsi que par ses chapitres. Sous contrôle de l’archevêque, le collège était également rattaché à l’Université ce qui ne manqua pas de susciter des difficultés lorsqu’il fut confié à la Compagnie de Jésus (de 1575 à 1595 puis de 1604 à 1762). En France, le collège de Bourges faisait partie de la première vague d’établissements scolaires confiés à la Compagnie de Jésus. En 1595, le personnel du collège était constitué de onze prêtres (pères profès), de six régents (coadjuteurs spirituels) et de huit frères (coadjuteurs temporels). En 1627, il comprenait 713 élèves dont 132 en cinquième. En 1632, le collège s’agrandit selon les plans de l’architecte jésuite Étienne Martellange (1569-1641).

Dessin de Martellange représentant le collège de Bourges disponible sur le web : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6937447n.item

Il avait en effet reçu de Henri II de Bourbon, prince de Condé (1588 – 1646), qui fut gouverneur du Berry, 12 000 livres ainsi que des seigneuries et des prieurés qui lui procuraient une rente annuelle de 4000 livres.

L’ex-præmio fait également référence au lieu où le prix a été remis « in publico theatro ». Il s’agit probablement de l’hôtel de Limoges attenant au Palais Jacques-Cœur – tous deux acquis par la ville de Bourges en 1682. Dans cette salle se déroulaient les audiences de justice et les foires de Noël. Elle pouvait être transformée en théâtre si besoin. Cet usage est attesté en 16735.

La cérémonie de remise des prix était l’occasion de présenter en public une pièce de théâtre. La Compagnie de Jésus considérait le théâtre comme une méthode pédagogique à part entière qui servait à développer l’éloquence des élèves. Les pièces étaient écrites par des enseignants sur la base de récits tirés de l’histoire sainte ou bien de l’antiquité gréco-latine. Elles servaient également à véhiculer des leçons de morale.

Le jour de la cérémonie de remise des prix évoquée dans l’ex-praemio, soit le 17 août 1688, fut représenté un ballet intitulé Le Triomphe de la fidélité qui était inspiré d’une tragédie titrée Louis premier empereur6.

La version imprimée de la pièce est disponible sur le web

Sous Louis XIV, la mode des ballets avait gagné les établissements jésuites qui vivaient dans leur siècle. La compagnie de Jésus a gardé une trace de certaines de ses représentations en les faisant imprimer comme en atteste le document ci-dessus. À Bourges, l’imprimeur du collège des Jésuites se nommait Jean Christo (1623 ? -1693). Cela prouve l’importance que la Compagnie accordait à ses oeuvres dramatiques. Il est possible de considérer cela comme une volonté de montrer la qualité de son enseignement et d’attirer ainsi les familles de notables. Seuls les élèves issus des familles les plus aisées pouvaient y participer étant donné les frais de représentations qui étaient à leur charge.

Le récipiendaire du prix, François Bergier, ne figure pas dans la liste des 18 élèves retenus pour le ballet et qui est présentée ci-dessous, ce qui va dans le sens d’une appartenance à la classe moyenne.

 

Serait-ce le François Bergier, notaire, tabellion et greffier à Issoudun, mentionné dans un acte notarié7 daté de 1697 ?

Une reliure dite d’agonothète

Dans l’antiquité grecque, l’agonothésie était une charge civique. Elle apportait à celui qui l’exerçait une certaine renommée accompagnée d’honneurs publics. Cela consistait à veiller au bon déroulement des concours théâtraux, musicaux ou sportifs (agônes) et à remettre des récompenses aux vainqueurs. Aussi, par extension, une reliure est dite d’agonothète lorsqu’elle a été donnée par un notable afin qu’elle soit remise en prix à un élève.

L’agonothète de l’ouvrage8 n’est autre que le gouverneur de la province du Berry entre 1681 et 1691, François de Rohan (1630-1712). Celui-ci, avant d’occuper des charges dans l’administration provinciale, eut une brillante carrière d’officier (lieutenant général) au sein des armées de Louis XIV ce qui lui valut d’être fait prince de Soubise en 1663. L’ouvrage a-t-il été acquis pour la remise du prix ou bien extrait de la bibliothèque de son donateur ? Ses plats supérieurs et inférieurs sont estampés à chaud en leur centre de ses armes.

Une reliure soignée… 

Il s’agit d’une reliure aux armes et à semé (ou semis). Cette technique de dorure, caractéristique du XVIIe siècle, consistait à utiliser un ou plusieurs petits fers et à les apposer sur les plats par estampillage à chaud – à maintes reprises et à la même distance – afin de les décorer. Le matériau de couvrure utilisé pour cet ouvrage, qui est du veau blond, ainsi que les tranches dorées et les armes apposées sur les plats permettent de qualifier cette reliure de soignée.

Les motifs du semis sont empruntés au blason du possesseur. Certaines sont de petites figures géométriques, en forme de losanges évidés, qui sont appelées macles en héraldique. Elles proviennent de l’écu central qui correspond aux armes de la famille de Rohan.

 

Les autres sont dites à l’hermine qui, en héraldique, est représentée de manière stylisée par un champ d’argent semé de mouchetures de sable. Elles renvoient au blason de Bretagne.

 

Le semis est lui-même encadré d’une frise et de filets dorés. Il est également répété dans les entre-nerfs.

 

Toutefois, le motif à semis est assez irrégulier. Peut-on alors encore parler de reliure soignée et de munificence de la part de l’agonothète ?

Billet rédigé par Nelly Kabac
(Bibliothèque Diderot de Lyon, département Patrimoine et conservation)

Sources

MAFFEI, Giovanni Pietro. Historiarum Indicarum libri XVI. Selectarum item ex India epistolarum eodem interprete libri IIII. Lyon : Filippo Giunta, 1589.
> Cote BDL : 2RC 4371

LOYOLA, Ignatio de. Exercitia spiritualia. Rome, Collège de la Société de Jésus, 1576
> Cote BDL : 55552

Ratio atque institutio studiorum Societatis Jesu. Tournon : Claude Michel, 1603.
> Cote BDL : 1R 36566

Bibliographie

ARMOGATHE, Jean-Robert. Vie commune frères de la [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. [consulté le 31 janvier 2025]. Disponible sur le web : <https://www.universalis-edu.com/encyclopedie/freres-de-la-vie-commune/>

BENOIST, Pierre. Les jésuites : histoire et dictionnaire. Paris : Bouquins éditions, 2022.

BOYER, Hippolyte. L’ancien théâtre à Bourges. Le théâtre du collège. Mémoires de la société historique, littéraire, artistique et scientifique du Cher. 1892, 4e série, vol. 8, p. 33-105.

CANCIK, Hubert et SCHNEIDER, Helmuth (dir.). Brill’s New Pauly. Encyclopaedia of the ancient world. Leyde, Boston : Brill, 2002-2010. Antiquity, vol. 1, col. 348.

COMPÈRE, Marie-Madeleine et JULIA, Dominique (dir.). Les collèges français (16e-18e siècles). 2. Répertoire France du Nord et de l’Ouest. Paris : INRP, CNRS, 1988.

DAINVILLE, François de. L’éducation des jésuites (XVIe-XVIIIe siècles). Paris : Les éditions de Minuit, 1978.

DESGRAVES, Louis. Répertoire des programmes des pièces de théâtre : jouées dans les collèges en France : 1601-1700. Genève : Droz, 1986.

GAYRAL, Emmanuelle. Les jésuites et le théâtre. Art oratoire et pédagogie. Mai-juin 2023. [consulté le 31 janvier 2025]. Disponible sur le web : <https://www.bm-lyon.fr/nos-blogs/la-collection-jesuite-des-fontaines/actualites/les-expos/article/les-jesuites-et-le-theatre-art-oratoire-et-pedagogie>

MORVAN, François. La distribution des prix. Les lauriers de l’École du XVIIe siècle à nos jours. Paris : Perrin, 2002.

SARRAZANAS, Clément. Agonothésie, athlothésie et chorégie à Athènes : organisation et organisateurs des concours civiques aux époques hellénistique et impériale. 2015. Université Paul Valéry Montpellier, thèse de doctorat.

  1. Suétone, Grammairiens et rhéteurs, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 19 []
  2. Armogathe []
  3. Définition donnée par le Manuel de catalogage informatisé des monographies anciennes en format UNIMARC, juin 2016, p. 116 []
  4. https://pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA18000025, https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A8ge_des_j%C3%A9suites_de_Bourges []
  5. Hyppolite Boyer []
  6. Desgraves p. 37 []
  7. https://www.geneanet.org/registres/view/2121134 []
  8. La BDL possède également un in-folio, ayant la même reliure et le même agonothète, remis en prix le même jour à un autre élève :  Titi Livii Patavini Historiæ Romanæ ab Urbe condita, libri XLV, 1573, cote BDL 2RE 2755 []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Interfaces/fonds anciens BU Lyon (24 mars 2025). Un livre de prix du XVIe siècle issu des fonds anciens de la BDL (1). Interfaces. Livres anciens de l'Université de Lyon. Consulté le 16 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13km2


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