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Le Bulletin départemental de l’instruction primaire : une mine de renseignements !

Il est des titres de revues qui ne font guère rêver : c’est le cas de l’austère Bulletin départemental de l’instruction primaire qui paraît dans un grand nombre de départements de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 70 dans certains cas. La Bibliothèque Diderot de Lyon en conserve une importante collection qui n’est cependant pas exhaustive.

Une revue de fascicules

Quelques bulletins du Bas-Rhin et de l’Aveyron

Édité sur du mauvais papier, sans illustrations, resté souvent sous forme de petites brochures non reliées, ce périodique s’étend sur plus de 105 mètres linéaires dans un des magasins de la bibliothèque. Le Bulletin existe dans presque tous les départements de la France métropolitaine, ainsi que dans certaines colonies (Bulletin du département d’Oran, Académie d’Alger) ou dans le protectorat du Maroc.

 

En raison de la mauvaise qualité du papier et de la présentation en fascicules, beaucoup de ces Bulletins sont aujourd’hui en très mauvais état. Certains Bulletins de la région Auvergne-Rhône-Alpes ont pu être numérisés grâce à un co-financement de la Bibliothèque nationale de France et peuvent être consultés dans la bibliothèque numérique de la BDL et sur Gallica.

 

Un document officiel

La création de ce périodique est encouragée par le ministère de l’Instruction publique, sous la houlette du très actif Victor Duruy, par une circulaire du 14 septembre 18651. Chaque département en a cependant l’initiative, sous l’autorité de l’inspecteur d’académie, et les débuts se font donc à des dates assez diverses : par exemple, le département de la Manche édite son premier Bulletin en janvier 1881, soit 16 ans après la circulaire. Le département d’Oran édite son Bulletin à partir de 1878.

Le Bulletin doit contenir les textes officiels que les instituteurs sont tenus de connaître : les lois et les décrets, les arrêtés et les circulaires ministériels, les règlements, les actes administratifs départementaux qui concernent l’instruction primaire, les mouvements de personnel, les dates d’examens, des comptes-rendus d’avis de séance, des récompenses et distinctions honorifiques, des peines disciplinaires, des promotions, des congés pour raisons de santé, etc. « L’insertion au Bulletin tient lieu de notification officielle » comme le précisent la plupart des Bulletins.

 

Pour cette raison, « Ce Bulletin doit être déposé dans les archives de l’école » ou dans la bibliothèque scolaire comme le rappelle souvent un petit encart sous le titre. Il est d’ailleurs adressé gratuitement aux instituteurs (sauf en Vendée, où il est payant !), et l’inspecteur vérifie à chaque visite que le Bulletin se trouve bien conservé dans l’école.

BDIP des Hautes-Alpes, janvier 1879, n° 48, p. 1
BDIP des Vosges, janvier 1948, n° 776, p. 1.

Le fonctionnement de l’instruction primaire au quotidien

Par-delà ces textes officiels, c’est toute la mise en place et le fonctionnement de l’instruction primaire depuis ses débuts jusque dans la seconde moitié du XXe siècle que l’on peut entr’apercevoir dans les Bulletins : on voit ainsi évoluer l’institution scolaire sur plus d’un siècle.

Les renseignements que l’on peut glaner en lisant les Bulletins sont de toutes natures : instruction des maîtres, hygiène scolaire, assiduité des élèves, tenue des classes, attitudes des autorités communales…

Par exemple dans les Hautes-Alpes, se tient le 13 février 1879 une conférence pédagogique sur la nécessité d’avoir des emplois du temps pour les élèves (ce qui sous-entend qu’il n’y en avait guère) et sur la nécessité pour les instituteurs de s’instruire de façon continue. Beaucoup d’instituteurs ont envoyé des rapports, dont certains sont émaillés de grosses fautes d’orthographe, ce qui horrifie l’inspecteur !

BDIP des Hautes-Alpes, février 1879, n° 49, p. 22-23.

En février 1880, toujours dans le même département, les 15 pages du Bulletin sont consacrées aux maladies contagieuses et à leurs différents symptômes : on y voit des descriptifs de maladies aujourd’hui « disparues » comme les différents types de teignes (faveuse, tonsurante ou décalvante) et les précautions de l’époque pour éviter la contagion.

BDIP des Hautes-Alpes, février 1880, n° 61, p. 225

Voici d’autres exemples, choisis au hasard dans différents bulletins : pour entrer à l’école normale, il faut être célibataire ; les communes à l’approche des élections n’ont pas construit les maisons d’école qu’elles avaient promises ; le Président du Conseil (Jules Ferry) reçoit tellement de demandes de livres pour les bibliothèques scolaires qu’il ne peut plus répondre : il faut désormais lui envoyer des demandes groupées 2 fois par an. Beaucoup d’institutrices dans des écoles publiques sont des sœurs. Pour l’exposition géographique qui se tiendra à Lyon en 1881, les inspecteurs d’académie souhaitent que les élèves envoient de belles cartes et représentent « dignement [leur] département ».

On constate aussi des disparités entre départements : par exemple dans la Manche, on déplore la disparition des journaux de classe, « un des rares départements où ce journal est tombé en désuétude ».

Parfois s’ouvre une fenêtre sur bon nombre d’aspects de la société française : l’heure d’arrivée à l’école est modifiée dans les départements agricoles ; la politique y fait parfois directement son entrée : ainsi, en avril 1917, on trouve dans le Bulletin officiel et spécial de Charente inférieure, ainsi que dans d’autres Bulletins, la lettre des inspecteurs d’académie au sujet de l’entrée en guerre des États-Unis, ou des appels à verser son or.

BDIP de la Charente inférieure, avril 1917, n° 257, p. 69

Bien sûr, dans la mesure où ces Bulletins comportent une partie officielle destinée à tout le pays, ils sont assez répétitifs. Ce sont les variations départementales qui souvent sont les plus intéressantes.

Des renseignements individuels

S’ils sont moins nombreux, des renseignements individuels apparaissent dans plusieurs rubriques : les nominations, les récompenses et félicitations (pour une institutrice qui a ouvert un musée scolaire, pour la bonne tenue d’une classe, pour des instituteurs qui sont autorisés à ouvrir des cours du soir), les blâmes (pour cause de punitions corporelles par exemple ou pour avoir quitté son poste), les mouvements de personnel, les mises en congé, les départs en retraite, les nécrologies. Ils concernent essentiellement bien sûr des personnels de tous grades de l’instruction publique et privée.

BDIP de l’Aveyron, mars 1879, p. 34-35
Félicitations dans le BDIP de la Manche, août 1881, n° 8, p. 185
Nécrologie dans le BDIP de la Manche, août 1882, n° 8, p. 244

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BDIP du Maroc, janvier-mars 1918, n° 10, p. 3

S’ils ne peuvent servir à eux seuls à mener une étude prosopographique, les Bulletins peuvent cependant fournir un certain nombre de renseignements sur les carrières d’instituteurs et d’institutrices.

Un Bulletin sur le temps long

Si le Bulletin peut sembler d’un autre âge, ne serait-ce que par son nom, il a cependant perduré jusque dans les années 60-70 pour certains départements. Dans le Cantal par exemple, il s’intitule désormais Bulletin départemental de l’enseignement du 1er degré et paraît encore en 1954. La structure est toujours la même mais de nouvelles préoccupations sont traitées comme l’enseignement ménager, les bourses, les voyages scolaires, les permutations d’instituteurs… on n’y parle bien sûr plus des bataillons scolaires ! Mais il est toujours obligatoire de le communiquer à tous. Pour le Vaucluse, la bibliothèque conserve des numéros de 1976 : la forme a changé et les listes nominatives sont beaucoup plus nombreuses.

 

Les Bulletins en temps de guerre

Pendant les guerres, la parution des bulletins ne cesse pas forcément. Les textes officiels sont toujours là, le Bulletin garde sa mission. S’y ajoutent des préoccupations nouvelles ou renouvelées : ainsi en janvier 1917, en Indre-et-Loire, la lutte contre l’alcoolisme reprend d’autant plus fort que la guerre encourage la prise d’alcool ; un appel du sous-secrétariat d’état de l’artillerie et des munitions est relayé pour fournir des chiffons de coton – qui servent dans la fabrication des poudres- en évitant les intermédiaires : ils seront rassemblés à l’école de garçons du chef-lieu. Il y a trop d’abus sur les congés accordés aux institutrices dont le mari, mobilisé au front, est en permission : ces congés devront être subordonnés aux nécessités de service ! En février, c’est la marmite norvégienne qui est encouragée dans tous les internats pour économiser le combustible : c’est signé du directeur de l’Enseignement primaire Paul Lapie, dont la BDL conserve la bibliothèque personnelle. Plusieurs pages sont consacrées à l’exposition « L’école et la guerre » qui doit avoir lieu en mai à Paris et rassemblera des témoignages scolaires de toutes les régions.

BDIP d’Indre-et-Loire, février 1917, n° 2, p. 50-51

Sans surprise, pendant la 2e guerre mondiale, le Bulletin des Vosges paraît sous l’égide de l’État français.

 

Un supplément spécial est même destiné aux instituteurs prisonniers de guerre. Les préoccupations sont toujours les mêmes auxquelles s’ajoutent des actions liées à la guerre : une collecte est organisée dans le département par des universitaires envers les personnes du secondaire sinistrées lors du bombardement d’Épinal (juillet 44).

Il ne s’agit pas bien sûr de croire que l’examen de ces Bulletins va révolutionner l’histoire des conflits. En revanche, leur exploitation détaillée peut fournir des éléments très concrets et de bonnes illustrations de certaines réalités que l’on voit souvent à une échelle beaucoup plus large : le rationnement, les restrictions, l’embrigadement par exemple.

Conclusion

Ce qui rend la recherche complexe dans les Bulletins, surtout si l’on souhaite embrasser la France entière, c’est la masse des renseignements, tous dispersés à divers endroits et l’impossibilité, lorsqu’ils ne sont pas numérisés, d’une recherche thématique rapide automatisée. Mais c’est une source (officielle certes) de très grande richesse pour une recherche locale (à toute échelle : départementale, régionale), pour une recherche thématique dans toute une aire géographique, pour un tableau de l’enseignement français à une date donnée. Il est bien dommage que ces Bulletins départementaux ne soient pas davantage exploités.

Billet rédigé par Claire Giordanengo
(Bibliothèque Diderot de Lyon, département Patrimoine et conservation)

  1. D’après le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Interfaces/fonds anciens BU Lyon (24 janvier 2025). Le Bulletin départemental de l’instruction primaire : une mine de renseignements ! Interfaces. Livres anciens de l'Université de Lyon. Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/135im


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