André-Marie Ampère, philosophe des sciences

Nous continuons le cycle consacré à Ampère avec une présentation de sa dernière œuvre l’Essai sur la philosophie des sciences ou Exposition analytique d’une classification naturelle de toutes les connaissances humaines publié en 1834.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si Ampère est surtout connu pour sa théorie de l’électrodynamique, la philosophie est selon lui la « seule science importante », celle qui tient une place essentielle dans sa pensée. Dès 1803, alors qu’il est professeur à Bourg-en-Bresse, il rédige un mémoire de psychologie analytique qui restera inachevé. L’année suivante, lors de son arrivée à Paris, il se lie d’amitié avec le philosophe Maine de Biran (1766-1824) avec lequel il entretiendra une importante correspondance entre 1805 et 1815. Malgré son intérêt constant pour la philosophie, c’est deux ans seulement avant sa mort, en 1834 que paraît le premier volume de l’Essai sur la philosophie des sciences, le second sera publié beaucoup plus tard, en 1843 par son fils Jean-Jacques. La BU Lyon1 conserve dans ses collections un exemplaire de l’édition de 1834. L’ouvrage provient de la collection du Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie qui a récemment rejoint le fonds ancien de la bibliothèque universitaire.

Présentation matérielle

Le volume de format in-octavo comporte plusieurs marques de possession. Sur la page de garde volante qui fait face au faux-titre, figure à la plume, le nom du Dr F Devay, il s’agit de Francis Devay (1813-1863) médecin à l’Hôtel-Dieu et professeur de clinique interne à l’Ecole préparatoire de Médecine et de Pharmacie (1854-1863)¹. Devay est un des premiers donateurs du Musée fondé en 1901 par le Professeur Alexandre Lacassagne. Le second ex-libris apposé sur la page de titre du livre est celui d’Albert Florence (1851-1927) chef de travaux de chimie et pharmacien en chef des hôpitaux. Passionné par l’histoire médicale, Florence est un proche collaborateur de Lacassagne dans la création du musée. L’ouvrage comporte de nombreuses annotations à l’encre et au crayon et de nombreuses pages surlignées, elles sont le témoignage de lectures attentives et de l’intérêt accordé à la compréhension de la pensée philosophique d’Ampère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La classification d’Ampère

Autodidacte, lecteur assidu de l’Encyclopédie, Ampère est profondément imprégné par les idées des hommes des Lumières, il croit en l’unité profonde du savoir et accorde beaucoup d’importance aux relations de la philosophie et de la science. S’il a enseigné la philosophie et entretenu une abondante correspondance avec Maine de Biran, son Essai sur la philosophie des sciences est la seule œuvre qu’il publie sur le sujet. Cet ouvrage édité peu avant sa mort expose sa longue réflexion sur la classification de toutes les connaissances humaines. Un travail pour lui fondamental car il est l’aboutissement et « […] l’expression de son engagement dans une pratique scientifique. »². Dans sa préface Ampère explique que c’est à partir de deux questions qu’il avait à résoudre qu’il a finalisé la construction de sa classification générale des connaissances, sa première interrogation était : « Qu’est-ce que la physique générale, et par quel caractère précis est-elle distinguée des autres sciences ? », la seconde: « Quelles sont les différentes branches de la physique générale ainsi circonscrites, qu’on peut considérer, à volonté, comme autant de sciences particulières, ou comme diverses parties de la science plus étendue dont il est ici question ? ».³. Ce questionnement préalable l’amène à concevoir une classification dualiste qui distingue deux règnes, les sciences noologiques qui étudient le monde de l’esprit et de la pensée et les sciences cosmologiques (mathématiques, physiques, naturelles et médicales). Ces deux règnes, il les divise en quatre sous-règnes, huit embranchements, 32 « sciences du premier ordre », puis 64 « sciences du second ordre » et enfin 128 du troisième ordre. Il conçoit un système classificatoire par embranchements génératifs (chaque branche est divisée à nouveau par deux) donnant 2ⁿ divisions, il développe ainsi son arborescence jusqu’à l’ordre n=7. Cette construction lui permet de donner un caractère vraiment encyclopédique à sa classification. Comme le souligne Jacques Merleau-Ponty, « toutes les formes de l’activité intellectuelle ont leur place chez Ampère, y compris la métaphysique, la théologie, la psychologie, toutes exclues par Comte ». Sa logique classificatoire le conduit même à anticiper certaines disciplines qui n’existaient pas à son époque comme l’ethnologie ou la glossologie qui correspond assez bien à la linguistique actuelle. Il est aussi l’inventeur de nouveaux termes comme, géologie, cinématique ou cybernétique.

Mais comme l’écrit Christine Blondel « si son Essai sur la philosophie des sciences a été lu par Einstein, il n’a pas marqué l’histoire de la philosophie comme l’espérait Ampère. »⁴. C’est avec ses travaux sur l’électromagnétisme que son nom est passé à la postérité.

Article rédigé par Livia Rapatel, BU Lyon1

Source:

Ampère, André-Marie. Essai sur la philosophie des sciences ou Exposition analytique d’une classification naturelle de toutes les connaissances humaines. Paris: Bachelier, 1834.

Bibliographie:

Blondel, Christine. « Ampère, le « Newton de l’électricité »», Bulletin de la Sabix, 37 | 2004. Disponible en ligne [consulté le 12 décembre 2024]

Braverman, Charles. « Pourquoi classer les facultés de l’esprit ? André-Marie Ampère : de la science à la philosophie et vice versa » In OpenAIRE. 2022. Disponible en ligne [consulté le 12 décembre 2024]

Dufour, Xavier. « Ampère philosophe», Bulletin de la Sabix, 37 | 2004. Disponible en ligne [consulté le 12 décembre 2024]

Merleau Ponty, Jacques. « Essai sur la philosophie des sciences d’Ampère». In: Revue d’histoire des sciences, tome 30, n°2, 1977. Disponible en ligne [consulté le 12 décembre 2024]

 

 

1. Guiart, Jules. L’école médicale lyonnaise In Annales de l’université de Lyon. Paris : Masson, 1941, p.95 [↩]
2. Braverman, Charles. « Pourquoi classer les facultés de l’esprit ? André-Marie Ampère : de la science à la philosophie et vice versa » In OpenAIRE. 2022 p.37 [↩]
3. Ampère, AM. Essai sur la philosophie des sciences. 1834, p-V etVI [↩]
4. voir bibliographie [↩]

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