La bibliothèque comme miroir de son possesseur : l’exemple du fonds ancien de Bernard Besnier

Le fonds Bernard Besnier a rejoint la Bibliothèque Diderot de Lyon en 2015, enrichissant ses collections d’un ensemble de près de 12 000 monographies. Ce fonds a déjà été décrit dans sa globalité par Caroline Hildebrandt dans un billet de blog¹ mais nous nous proposons d’en observer plus particulièrement la composante patrimoniale constituée de près de 880 ouvrages allant du XVI^e au XIX^e siècle. Ces ouvrages anciens, aux formats diversifiés allant de l’octavo au grand in-folio, témoignent des acquisitions minutieuses de Bernard Besnier et occupent aujourd’hui près de 29 mètres linéaires dans les magasins de la bibliothèque.

Qui est Bernard Besnier ?

Né en 1943 à Saint-Nazaire, Bernard Besnier a rejoint l’ENS de Saint-Cloud à dix-neuf ans où il s’est spécialisé particulièrement en philosophie aristotélicienne et husserlienne. Maître de conférences en philosophie dans le même établissement, le chercheur avait un goût particulier pour la philosophie antique et la phénoménologie. Il publiait en effet des articles dans des revues spécialisées de cette discipline tout en étant le préfacier d’un certain nombre d’ouvrages du même genre. Bernard Besnier s’intéressait à de nombreuses disciplines complémentaires. Il a pu s’exprimer sur des sujets allant des théories économiques aux problèmes de mécanique céleste et de mathématique. L’homme est décrit comme un intellectuel appréciant la découverte d’autres terrains de savoir lui permettant d’enrichir le contenu théorique de ses recherches comme de ses cours. Histoire, poésie, théologie, sciences naturelles et ouvrages linguistiques venaient alors approfondir sa démarche philosophique. À sa mort en 2015, la bibliothèque du philosophe est donnée à l’ENS de Lyon.

Bernard Besnier, un bibliophile ?

Le fonds ancien du philosophe s’avère conséquent : près de 900 ouvrages anciens. Cela dénote une forme d’intérêt pour le livre ancien qu’il m’a été donné de constater lors d’un bref catalogage effectué à l’été 2024. Bernard Besnier a acquis des formats assez variés. Les grands formats notamment (une dizaine d’in-folios) montrent qu’il n’hésitait pas à investir dans ses achats une certaine somme et à s’imposer des contraintes de stockage.

Cependant, cela ne fait pas pour autant de Bernard Besnier un bibliophile. Le philosophe a pris soin d’indiquer de façon manuscrite ses nom et prénom sur une majorité des ouvrages dont il faisait l’acquisition : écrites au stylo-bille (ce qui est une hérésie pour tout bibliophile !) ces mentions manuscrites attestent sans doute du fait que le philosophe prêtait facilement ses ouvrages ou d’une simple volonté de marquer un acte de possession.

La majorité des ouvrages acquis sont dotés de reliures assez quelconques en basane. La plupart ont un format in-octavo, voire in-12, témoignant d’un achat plus quantitatif sur le contenu que qualitatif sur la matérialité du livre.

De nombreux ouvrages de philosophie

Un philosophe qui possède une bibliothèque composée d’œuvres philosophiques, est-ce réellement étonnant ? Le chercheur a regroupé des œuvres touchant de loin ou de près toute l’histoire de la philosophie. Étudiant particulièrement la discipline sous l’égide antique, nous retrouvons évidemment dans ce fonds des imprimés modernes dédiés à des philosophes allant d’Aristote à Pline en passant par Horace. Traités moraux et ouvrages de métaphysique peuvent aussi être trouvés dans les rayons de sa bibliothèque. Il ne fait aucun doute que ce regroupement d’ouvrages philosophiques lui a été bénéfique dans l’approfondissement de son travail intellectuel notamment sous l’angle historique de l’humanisme et de l’étude des auteurs classiques.

Étudier la théologie et l’histoire religieuse

L’histoire de la philosophie est également très liée à l’histoire religieuse. Le philosophe a pris soin d’acquérir un certain nombre d’ouvrages théologiques allant des ouvrages d’éducation religieuse aux traités moraux en passant par les poèmes religieux. Le plus notable reste toutefois l’intérêt que portait Bernard Besnier à la question des querelles religieuses notamment dans le cadre des controverses de la période moderne. Nous avons par exemple identifié des ouvrages qui portent sur les querelles entre les jansénistes et les jésuites. Ce sont particulièrement dans ces livres aux titres parfois polémiques que des pseudonymes étaient utilisés ou que les lieux d’édition s’avéraient imaginaires. La théologie a donc une place particulière dans ce fonds ancien avec quelques auteurs comme John Owen, Pierre Charron, Jean Le Clerc ou encore Jean Chrysostome pour ne citer qu’eux.

Un goût pour la grammaire et la linguistique

La bibliothèque de Bernard Besnier comporte un certain nombre d’ouvrages relatifs aux langues anciennes, notamment des ouvrages portant sur la question de leur graphie. Nous avons par exemple remarqué plusieurs ouvrages sur l’écriture grecque ou des ouvrages comme La Langue de l’abbé Bordelon, édité en 1705, ou des œuvres grammaticales de Du Marsais.

Un intérêt pour l’histoire

Besnier avait aussi un certain goût pour l’histoire au sens général. Si nous pouvons retrouver des ouvrages qui touchent directement l’histoire religieuse ou l’histoire de la philosophie, il est possible aussi de trouver des collections entières sur l’histoire de certains pays comme l’Angleterre ou les Recueils de romans historiques de Lenglet Dufresnoy, datant de 1746.

Nous pouvons également observer quelques ouvrages biographiques sur des auteurs ainsi que des ouvrages de mémoire sur des évènements. L’histoire a donc tout de même une place importante dans tout ce florilège interdisciplinaire. Elle vient aider la réflexion de Bernard Besnier tant sur certains auteurs que dans l’histoire des disciplines qu’il étudie.

Quelques ouvrages de sciences

Un certain nombre d’ouvrages concerne les sciences naturelles et célestes. Bernard Besnier semble avoir nourri une attention toute particulière pour les mathématiques et l’astronomie : il n’est pas étonnant de retrouver des ouvrages sur la mécanique céleste ou bien encore des ouvrages d’éducation et d’enseignement aux mathématiques.

Mais il est aussi possible de trouver des ouvrages en sciences naturelles, notamment de médecine. Nous y avons par exemple découvert un magnifique ouvrage de Jean Fernel, médecin français, Universa Medicina, daté ici de 1619.

 

Un engouement inattendu pour la dramaturgie ?

La première fois que j’ai découvert le fonds Besnier par l’intermédiaire du catalogage, j’ai pensé très sincèrement que j’avais affaire à un spécialiste de la dramaturgie tant les ouvrages de théâtre s’avéraient conséquents. Nous trouvons dans le fonds un grand nombre de recueils généraux sur des œuvres de théâtre allant du XVI^e au XIX^e siècle. Citons des collections importantes comme la Petite Bibliothèque des théâtres ou encore celles du Répertoire du théâtre français, reconnaissables en grande partie à leur dos à pièces de titre vertes. Le plus intéressant reste toutefois les recueils d’œuvres de dramaturges. Nous avons identifié quelques noms dont les œuvres peuvent être lues parmi ces recueils bien conservés : Edme Boursault, Charles Palissot de Montenoy, Prosper Jolyo De Crébillon, Philippe Néricault Destouches, Jean-Baptiste Rousseau, Dancourt et bien d’autres. Cette partie du fonds, importante, est susceptible d’intéresser bien des spécialistes de théâtre.

 

Un dépôt physique de la pensée de Bernard Besnier

Au sein du fonds Bernard Besnier, il existe évidemment bien d’autres disciplines : ouvrages de théorie économique, de droit ou encore de poésie, la bibliothèque du philosophe regorge de bien des richesses. Elle est interdisciplinaire tout en étant le miroir des réflexions et des intérêts de son possesseur. Acquis auprès de différents libraires et collectionneurs, cette bibliothèque forme aujourd’hui un ensemble cohérent et incohérent à la fois. Elle est cohérente dans la manière dont elle reflète l’univers intellectuel de son auteur. C’est ce qui explique le choix fait par la Bibliothèque Diderot de Lyon de la conserver en tant que fonds. Son aspect composite peut donner l’impression d’un grand éclectisme, ce qui est d’autant plus intéressant que cela traduit une diversité matérielle et éditoriale qui a été réunie en un seul et même lieu. Le fonds Besnier représente ce que Pierre Lardet appelait « un dépôt physique de la pensée » (Lardet, 2007, p. 508). La Bibliothèque Diderot de Lyon en est aujourd’hui la gardienne.

Lucas Guerillot, stagiaire Enssib du Master CEI

Bibliographie

BERT Jean-François, LAMY Jérôme. Voir les savoirs : Lieux, objets et gestes de la science. Paris : Anamosa, 2021.

BESNIER Bernard, MOREAU Pierre-François (et al.). Les passions antiques et médiévales. Paris ​ : PUF, 2003.

HIILDEBRANDT Caroline. De la recherche comme rencontre d’une pensée : à la découverte du fonds Besnier de la Bibliothèque Diderot de Lyon . Penser ailleurs : Séminaire de recherche itinérant, Hypothèses, 14/02/2022.

LARDET Pierre. Les conditions de la mise en texte. Dans Lieux de savoir : Espaces et communautés. C. Jacob (dir.). Paris : Albin Michel, 2007, pp. 507-514.

MONTENOT Jean. Notice nécrologique. Revue philosophique de la France et de l’étranger. Tome 140, n°4, 2015, pp. 595-596.

1. <https://pensailleurs.hypotheses.org/> [↩]

---

---