Le fonds Antoine Labrousse : la bibliothèque d’un enseignant en mathématiques spéciales

La bibliothèque Diderot de Lyon conserve dans ses fonds éducation 411 documents ayant appartenu à un professeur de mathématiques en classes préparatoires, Antoine Labrousse (1874-1947).

Antoine Labrousse : quelques éléments biographiques

En 1891, il obtient un baccalauréat ès sciences dans un lycée bordelais ce qui lui permet d’intégrer une classe de mathématiques spéciales au lycée de Poitiers. Les classes de mathématiques spéciales étaient des classes préparatoires scientifiques destinées aux élèves désirant présenter les concours d’entrée à l’École polytechnique et/ou à l’École normale supérieure.

L’excellence de son cursus scolaire est récompensée en 1894 par la remise d’un premier prix de mathématiques spéciales au concours général des départements.

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Il est également admis à l’École normale supérieure mais n’y entre qu’en 1895 après son service militaire. Des ouvrages présents dans le fonds Labrousse portent la marque de son passage rue d’Ulm.

Il y fait la connaissance du mathématicien Paul Montel (1876-1975), enseignant à la Sorbonne, qui appartient à la promotion précédente. Leur amitié a laissé sa trace dans la correspondance de celui-ci, conservée aux Archives nationales¹ mais également dans le fonds Labrousse.

En 1898, il est reçu à l’agrégation et enseigne à son tour les mathématiques spéciales aux lycées de Périgueux, de Tours puis de Toulouse.

Lorsque la Première Guerre mondiale – durant laquelle il est mobilisé – prend fin, il poursuit sa carrière à Paris en obtenant une chaire de mathématiques spéciales aux lycées Buffon puis Saint-Louis.

Antoine Labrousse refuse tour à tour les postes d’inspecteur académique et d’inspecteur général qui lui sont proposés. Il ne souhaite pas mettre un terme à sa carrière professorale. Il accepte uniquement de participer à des jurys d’agrégation ou d’admission à Centrale.

Composition du fonds Labrousse

Le registre d’inventaire de la bibliothèque d’Antoine Labrousse – s’il n’a jamais existé – a disparu. Elle n’a pas été donnée à la bibliothèque du Musée pédagogique mais à celle de l’Institut pédagogique national (IPN) qui a hérité de ses collections. Les ouvrages du fonds Labrousse portent en effet son estampille ce qui permet de déterminer une fourchette comprise entre 1956 et 1970 pour fixer l’arrivée de ce don à moins qu’il n’ait été reçu avant 1956 et que son traitement n’ait été différé dans le temps.

Il est impossible de savoir s’il s’agit de l’intégralité des ouvrages ayant appartenu au professeur Labrousse. ⅓ des documents datent du XIX^e siècle, ¼ du début du XX^e siècle jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale et plus de deux livres sur cinq de la période comprise entre 1919 et 1947.

 

Une bibliothèque de travail à l’origine du fonds

Très peu d’ouvrages (11) se situent en dehors du champ des sciences exactes, des sciences appliquées, de l’histoire des sciences et de l’éducation. Il n’y a aucun roman.

Ce n’est pas une bibliothèque de bibliophile. Un seul ouvrage présente une reliure soignée en plein maroquin rouge estampée à chaud sur le plat supérieur qui fut remis à Antoine Labrousse comme prix pour avoir réussi le concours général².

Les documents qui la constituent sont le plus souvent brochés, recouverts d’une couverture en papier acide, qui se désagrège d’ailleurs peu à peu. Les autres sont de simples demi-reliures.

 

Les disciplines représentées dans le fonds Labrousse sont bien entendu les mathématiques (en particulier la géométrie) et la physique pour la grande majorité du fonds.

L’essentiel des ouvrages est en français. Cela n’a rien d’étonnant puisque la plupart des auteurs sont français et que ce fut durant longtemps la langue de diffusion des connaissances mathématiques. On peut néanmoins noter 4 livres en italien, 2 en allemand, 2 en espagnol, 1 en anglais, 1 en portugais et 1 en latin.

37 % des documents du fonds sont des manuels d’enseignement. 32 % d’entre eux sont destinés à l’enseignement supérieur, 43 % aux classes préparatoires, 22 % au secondaire, 3 % à l’enseignement professionnel et 1 % au primaire.

Il s’agit pour certains de « spécimens », exemplaires d’un manuel envoyé aux enseignants de la discipline afin d’en faire la promotion. C’est une pratique éditoriale vieille de plus d’un siècle³. Ainsi, bon nombre de manuels scolaires issus du fonds Labrousse sont-ils porteurs d’une marque d’estampille indiquant « Hommage des éditeurs ».

D’autres manuels scolaires lui ont été donnés par des mathématiciens qu’il a côtoyés ou formés.

Outre les nombreux manuels scolaires, le fonds Labrousse renferme les œuvres rééditées de grands mathématiciens des siècles passés comme Pierre de Fermat (1601-1665), Alexis Claude Clairaut (1713-1765), Carl Friedrich Gauss (1777-1855) ou encore Évariste Galois (1811-1832).

Figurent également dans le fonds les travaux des mathématiciens de son époque. Les plus représentés sont ceux de Bertrand Gambier (1879-1954) – 16 exemplaires – et Henri Poincaré (1854-1912) – 13 exemplaires. Les ouvrages de Paul Appel (1855-1930), Paul Barbarin (1855-1931) et Émile Borel (1871-1956) sont également en bonne place réunissant 9 exemplaires chacun.

Comme il était d’usage au XIX^e siècle et dans la première partie du XX^e siècle, on retrouve dans le fonds Labrousse des demi-reliures rassemblant, dans des recueils factices, des articles appartenant ou non à une même revue. Un recueil factice est un assemblage de documents réalisé par leur possesseur.

Le fonds Labrousse contient également de nombreux tirés à part (16 % des documents). Il s’agit d’une pratique savante qui consiste à envoyer à ses collègues une impression séparée – possédant sa propre pagination – d’une partie de son ouvrage ou de son article, accompagnée d’un petit mot ou bien d’une dédicace manuscrite. Un tiré à part est considéré, en bibliothéconomie, comme une entité bibliographique unique matériellement indépendante. Certains tirés à part du fonds Labrousse sont des unica dans le Sudoc mais aussi dans Worldcat. Cela leur accorde-t-il pour autant un critère de rareté ?

La bibliothèque d’Antoine Labrousse est un fonds pluriel. Elle comprend aussi des thèses imprimées (sans doute celles d’anciens élèves comme Robert Deltheil (1890-1972) dont il sera question ci-après) et de la littérature grise. S’y ajoutent des notes de cours reliées, des leçons professées dans des établissements d’enseignement scientifique supérieur comme ceux du Collège de France, de Polytechnique⁴ ou de la Sorbonne. Des comptes rendus publiés dans des Bulletins, Mémoires et autres formes éditoriales sont également présents dans le fonds. Ces trois derniers types de documents montrent toute l’importance accordée à la retranscription des échanges oraux dans la communauté mathématique et plus largement scientifique de l’époque d’Antoine Labrousse.

Un fonds riche de très nombreuses marques d’appartenance

Aucune vignette ex-libris n’est collée au contreplat supérieur des ouvrages ayant appartenu à Antoine Labrousse. Cela ne signifie pas pour autant que celui-ci n’accordait aucune valeur à ceux-ci. En effet, de nombreux ouvrages sont ornés sur leur page de titre ou de faux-titre de sa signature manuscrite, à l’encre noire ou au crayon à papier.

Antoine Labrousse a indiqué sur certains ouvrages le nom du donateur d’un ouvrage.

De nombreux documents sont dédicacés.

Peu de traces d’usage, sous forme d’annotations, sont présentes sur les ouvrages. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’ont pas servi. Il est possible de considérer cela comme une marque de respect envers l’objet livre ou son donateur.

Le fonds Labrousse, objet de recherche

La bibliothèque constituée par Antoine Labrousse mériterait de faire l’objet d’une recherche. Celle-ci pourrait permettre de dessiner le réseau de sociabilité qu’Antoine Labrousse avait tissé avec les mathématiciens qu’il avait connus : professeurs, condisciples à l’École normale, collègues, élèves devenus à leur tour enseignants, scientifiques, ingénieurs, militaires, etc. Le fonds Labrousse interroge également le lien entre enseignement et recherche au sein de la communauté des mathématiciens à la fin du XIX^e siècle et dans les trois premières décennies du XX^e siècle. Antoine Labrousse est en effet le représentant d’une génération de mathématiciens dont l’ambition était d’enseigner en classes préparatoires dans de grands lycées parisiens. La génération suivante bénéficiera du développement des universités. Le modèle qui finira par s’imposer sera celui de l’enseignant-chercheur. Sa bibliothèque présente donc tout autant d’attrait pour l’historien des sciences exactes et en particulier des mathématiques que pour celui des sciences de l’éducation.

Billet rédigé par Nelly Kabac
(Bibliothèque Diderot de Lyon, département Patrimoine et conservation)

Bibliographie

BELHOSTE, Bruno. Pour une réévaluation du rôle de l’enseignement dans l’histoire des mathématiques. Revue d’histoire des mathématiques [En ligne] 1998, [consulté le 20 septembre 2023], n° 2. Disponible sur le Web : <http://www.numdam.org/item/RHM_1998__4_2_289_0/>

BRASSEUR, Roland. Dictionnaire des professeurs de mathématiques en classe de mathématiques spéciales entre 1852 et 1914 [en ligne]. [consulté le 4 septembre 2023]. Disponible sur le Web : <https://sites.google.com/site/rolandbrasseur/5-dictionnaire-des-professeurs-de-math%C3%A9matiques-sp%C3%A9ciales>.

EHRHARDT, Caroline. Du cours magistral à l’entreprise éditoriale. Histoire de l’éducation [En ligne], 1 avril 2013 [consulté le 4 septembre 2023], n° 130. Disponible sur le Web : <https://doi.org/10.4000/histoire-education.2333>

GISPERT, Hélène. L’enseignement scientifique supérieur et ses enseignants, 1860-1900 : les mathématiques. Histoire de l’éducation [En ligne] 1989, [consulté le 20 septembre 2023], n° 41 Disponible sur le Web : <http://www.jstor.org/stable/41159455>

NABONNAND, Philippe, PEIFFER Jeanne et GISPERT, Hélène. Circulations et échanges mathématiques (18e–20e siècles). Philosophia Scientiæ [En ligne], 19 juin 2015 [consulté le 30 septembre 2023], n° 19-2. Disponible sur le Web : <http://journals.openedition.org/philosophiascientiae/1086>. ISSN 1775-4283.

1. <https://www.academie-sciences.fr/pdf/dossiers/fonds_pdf/Fonds_Montel.pdf> [↩]
2. confer photos 4, 5 et 6 [↩]
3. BRUILLARD, Éric (dir.). Manuels scolaires, regards croisés. Caen : SCEREN-CRDP Basse-Normandie, 2005. CHOPPIN, Alain. L’édition scolaire française et ses contraintes : une perspective historique, p. 39-53. [↩]
4. confer Photo 14 [↩]

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