François Poullain de La Barre, De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral, où l’on voit l’importance de se défaire des Préjugez, Paris, 1673

Ce billet a été réalisé dans le cadre d’un travail d’étudiants et d’étudiantes du Master 1 « Métiers du livre et de l’édition » de l’université Lyon 2 (UFR des Lettres, Sciences du langage et Arts), sous la direction d’Edwige Keller-Rahbé (« Histoire du livre, XVI^e-XVII^e siècles »).

Le fonds patrimonial de la Bibliothèque Diderot de Lyon conserve un exemplaire de l’édition originale d’un traité pro-féminin très célèbre : De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral, où l’on voit l’importance de se défaire des Préjugez. Écrit par François Poullain de La Barre, l’ouvrage est imprimé à Paris, chez Jean Du Puis, en 1673.

Description de l’ouvrage

L’ouvrage est un petit volume très ordinaire sur le plan matériel.

Son état général est relativement bon, même si la reliure pleine basane mouchetée présente des traces de détérioration (plat supérieur) et d’usure (aux coins). Le dos présente quatre nerfs apparents ; les entrenerfs sont décorés aux petits fers et présentent des filets et fleurons dorés.

Imprimé au format in-12, d’un usage courant durant le second XVII^e siècle, il renferme une préface et deux grandes parties dont les titres sont composés en caractères romains.

Le matériel ornemental utilisé est rudimentaire : bandeau et filet au début de chaque partie, lettres de deux points, un cul-de-lampe à la fin de la première partie.

Des notes marginales ponctuent régulièrement le corps du texte tout en signalant la dimension élevée du discours. « On a crû qu’il faloit parler serieusement », prévient d’ailleurs l’auteur de la « Préface », qui se tient à distance du style galant.

Les producteurs de l’ouvrage

L’auteur

L’ouvrage paraît de façon quasi-anonyme : la page de titre est muette, cependant que la « Préface » et l’« Avertissement » final ne livrent aucun indice tangible.

L’extrait du privilège du roi à la fin du volume est moins neutre puisqu’il est accordé le 6 juillet 1673 au « Sieur P. », pour une durée avantageuse de dix ans. Derrière l’initiale, on reconnaît sans peine François Poullain de La Barre (1645-1727).

La notification de cession du privilège à l’imprimeur-libraire « suivant l’accord fait entr’eux » mentionne à nouveau « Ledit sieur P. »

Poulain cultive donc davantage la discrétion que l’anonymat à proprement parler. L’exemplaire de la Bibliothèque Diderot de Lyon présente en regard du titre une annotation manuscrite au crayon de papier – certainement de la main d’un bibliothécaire qui identifie l’auteur pour le public.

Écrivain, philosophe et linguiste, Poullain de La Barre est considéré comme un des premiers philosophes français féministes. Il étudie la théologie à l’université de la Sorbonne et devient prêtre dans la région de Champagne. En 1688, trois ans après la révocation de l’édit de Nantes, il se convertit au protestantisme, ce qui le pousse à s’exiler. Il quitte le royaume de France pour Genève, où il réside jusqu’à sa mort en 1725.

Poullain de la Barre s’intéresse aux questions de langue (Les Rapports de la langue latine avec la françoise, pour traduire élégamment et sans peine, 1672), mais son adhésion à la pensée cartésienne donne à sa carrière une orientation décisive qui le mène à produire des traités de philosophie féministes.

Dans le sillage immédiat de sa publication De l’Égalité des deux sexes, il fait paraître deux autres traités aux titres évocateurs :

– De l’Éducation des dames pour la conduite des esprits dans les sciences et dans les moeurs, entretiens (1674) ;

– De l’Excellence des hommes contre l’égalité des sexes (1675). Sous ce titre provoquant, il s’agit bien de poursuivre la réflexion autour de l’égalité des sexes.

Ces trois ouvrages qui réfléchissent à la question de la différence des sexes ont exercé une influence considérable dans le domaine de l’histoire des idées et de l’histoire des femmes.

L’imprimeur

Fils du libraire parisien Mathurin IV Du Puis, Jean Du Puis (1633-1675) est reçu maître imprimeur le 4 décembre 1653, et il exerce son métier jusqu’à sa mort, survenue en novembre 1675. Sa veuve, Marie Mariette, prend sa succession.

L’adresse typographique de L’Égalité des deux sexes situe Du Puis à Paris, rue Saint-Jacques, à l’enseigne de la couronne d’or. C’est sous cette adresse que Du Puis imprime les trois traités féministes de Poullain de La Barre parus entre 1673 et 1675.

Sur la page de titre, on trouve sa marque gravée sur cuivre en forme de monogramme.

« L’esprit n’a pas de sexe » : François Poullain de La Barre, précurseur de la pensée féministe

Une démonstration par la pensée cartésienne

Fortement influencé par la pensée du philosophe Descartes, Poullain de La Barre s’inspire de la « méthode » cartésienne en appliquant la notion de « doute » aux idées préconçues sur les relations entre les hommes et les femmes, mais aussi en recourant à l’idée du dualisme entre le corps et l’esprit afin de démontrer que « l’esprit n’a pas de sexe ».

Les deux parties de L’Égalité des deux sexes répondent chacune à des objectifs précis. Dans la première, le philosophe passe en revue les préjugés contre les femmes, au premier plan desquels leur prétendue infériorité, et s’attache à démontrer la nécessité de s’en défaire : « Première partie. Où l’on montre que l’opinion vulgaire est un préjugé, & qu’en comparant sans interest ce que l’on peut remarquer dans la conduite des hommes & des femmes, on est obligé de reconnoistre entre les deux Sexes une égalité entiere. » (p. 1-75).

Dans la seconde, il s’emploie à former opposition aux grandes traditions savantes en matière de discours sur l’infériorité des femmes : « Seconde partie. Où l’on fait voir pourquoy les témoignages qu’on peut apporter contre le sentiment de l’égalité des deux Sexes, tirez des Poëtes, des Orateurs, des Historiens, des Jurisconsultes, & des Philosophes, sont tous vains & inutiles. » (p. 77-243).

Poullain de La Barre ne cesse d’affirmer que les femmes ne sont pas inférieures aux hommes et que cette idée prédominante est issue non d’une vérité biologique, mais bien de points de vue biaisés véhiculés par la tradition.

 

Un écrit moderne, et encore actuel

Quand Poullain de La Barre fait paraître De l’Égalité des deux sexes, le sujet de l’égalité n’est pas neuf en soi puisqu’il s’inscrit dans un débat ancien et récurrent qu’on appelle « la Querelle des femmes », mais son approche, elle, est tout à fait inédite. Les propos du philosophe se révèlent audacieux et hautement transgressifs par rapport à la pensée dominante de son époque qui affirme la différence des sexes et la supériorité de l’homme sur la femme.

La réception de L’Égalité des deux sexes atteste non seulement son succès, mais encore son influence et son actualité durables.

Une seconde édition voit le jour en 1679, à Paris, chez Antoine Dezallier, deuxième époux de la veuve de Jean Du Puis. L’ouvrage connaît le succès dans l’Angleterre du XVIII^e siècle où il donne lieu à des traductions, fort éloignées toutefois de l’esprit du texte original. Il joue aussi un rôle précurseur dans l’histoire de la pensée féministe. En témoigne Le Deuxième sexe (1949), de Simone de Beauvoir, qui s’ouvre sur une citation de L’Égalité des deux sexes mise en exergue : « Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie. »

En 2011, il a été réédité avec les autres écrits de Poullain de La Barre (Paris, Vrin, Marie-Frédérique Pellegrin éd.), et en 2015, il a été réédité séparément par les éditions Gallimard (« Folio », Martine Reid éd.)

Billet écrit par les étudiants et les étudiantes du Master 1
« Métiers du livre et de l’édition » de l’université Lyon 2
Cindy Féral, M1, Librairie
Clarisse Lapôtre, M1, Bibliothèque

Sources

POULLAIN DE LA BARRE, François. De l’Égalité des sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez [En ligne]. Paris : Jean Du Puis, 1673. Disponible sur le Web : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9617928w/f9.item.zoom#>.

POULLAIN DE LA BARRE, François. De l’égalité des deux sexes ; De l’éducation des dames ; De l’excellence des hommes. Paris : Vrin, 2011.

POULLAIN DE LA BARRE, François. De l’égalité des deux sexes. Paris : Gallimard, « Folio », 2015.

Bibliographie

DORLIN, Elsa. Autopsie du sexe. Les Temps Modernes. n°619, 2002. p. 115-143.

MONTEIL, Claudine. Simone de Beauvoir et les femmes aujourd’hui. Simone de Beauvoir et les femmes aujourd’hui. 2011. p. 9-242.

OPITZ-BELAKHAL, Claudia. Guyonne Leduc, Réécritures anglaises au XVIIIe siècle de L’Égalité des deux sexes de François Poullain de la Barre – Du politique au polémique. Clio. Femmes, Genre, Histoire. n°34, 2011. [consulté le 23 novembre 2022]. Disponible sur le web : <https://journals.openedition.org/clio/10421>.

PELLEGRIN, Marie-Frédérique. Poulain de la Barre, François (1647-1723) . Encyclopaedia Universalis [consulté le 23 novembre 2022]. Disponible sur le web : <http://www.universalis-edu.com.bibelec.univ-lyon2.fr/encyclopedie/francois-poulain-de-la-barre-1647-1723/>.

SAINTOT, Bruno. Le « genre » sur la scène politique, Quels enjeux pour les catholiques ? Études. 2014. p. 41-52.

---

---